Josep Maria Cañellas – Photographie des Artistes

Détail d’un portrait photographique de Suzanne Valadon et de son fils Maurice.
Détail d’un portrait photographique de Suzanne Valadon et de son fils Maurice.

Un bref billet pour rendre compte d’une heureuse trouvaille.

À l’occasion de mes explorations régulières des ressources du Web, je suis tombé de manière fortuite sur un tirage que je ne connaissais pas du portrait de Suzanne Valadon (1865-1938) assise sur un fauteuil en compagnie de son fils, Maurice Utrillo (1883-1955). On en trouvera une reproduction plus bas.

Ce portrait, où resplendit la beauté brute et quelque peu inquiète de Suzanne Valadon alors âgée d’environ vingt-cinq ans, est assez connu et régulièrement reproduit dans les études consacrées à l’artiste. De ce que j’ai pu constater, le portrait est toujours attribué à un photographe anonyme1.

Or, le tirage dont j’ai pris connaissance permet de lever l’anonymat du photographe : il est contrecollé sur un carton-support portant le nom et l’adresse de ce dernier.

Le nom du photographe, on l’aura deviné, est celui de Josep Maria Cañellas ; l’adresse est celle du 17 rue André-del-Sarte :

Détail du carton-support du portrait de Suzanne Valadon et son fils

Cañellas s’installe rue André-del-Sarte au plus tôt fin 1887 ou début 1888 ; il quitte les lieux au plus tard fin 18922.

Maurice Utrillo est né en décembre 1883. Sur cette photographie, il paraît âgé de six ou sept ans, ce qui pourrait dater la photographie de 1890 ou 1891, en pleine cohérence avec la présence de Cañellas rue André-del-Sarte.

Cette datation n’est pas inintéressante. On se souvient que Maurice Utrillo est né de père inconnu et portait le nom de sa mère, Maurice Valadon. Ce n’est qu’en janvier 1891 que le peintre, journaliste et critique d’art Miquel Utrillo (1862-1934) reconnaîtra l’enfant comme le sien — sans qu’il soit pleinement confirmé qu’il en était bien le père. La photographie pourrait avoir marqué l’événement.

Enfin, on ne peut pas ne pas rappeler l’origine catalane de Miquel Utrillo et donc le rapprochement avec Cañellas. Il est très vraisemblable que Cañellas et Utrillo se soient connus à Paris, peut-être par l’intermédiaire de Josep Rubaudonadeu ou plus simplement via la communauté des artistes-peintres catalans à Paris, à commencer par Santiago Rusiñol, pour qui Cañellas avait travaillé. Vers 1890-1891 justement, Rusiñol partageait avec Miquel Utrillo (et Ramon Casas et Ramon Casudas) un logement au Moulin de la Galette.

Si Cañellas a pu photographier Suzanne Valadon dans son studio montmartrois, il a certainement eu l’occasion de fréquenter les (nombreuses) relations de la jeune femme, dont celles venues de Catalogne et, qui plus est, installées à deux pas de son studio.

Voici la photographie en question, dans son contexte. Elle est issue de la collection des photographes-éditeurs Bernès et Marouteau (actifs à Paris entre 1923 et 1959). Cette collection a été éditée et cataloguée par le Wildenstein Plattner Institute (WPI) qui en propose une version numérique particulièrement soignée et bienvenue.

[Suzanne Valadon and Maurice Utrillo], c. 1890; Bernès, Marouteau et Cie Photography Collection [259c1527], The Wildenstein Plattner Institute, Inc.
[Suzanne Valadon and Maurice Utrillo], c. 1890; Bernès, Marouteau et Cie Photography Collection [259c1527].
Source The Wildenstein Plattner Institute, Inc.
(La reproduction sur le site du WPI y est visible en haute définition.)

Dans le catalogage proposé par le WPI, la photographie de Cañellas est classée non pas parmi les « portraits photographiques » mais parmi les « reproductions photographiques d’œuvres d’art ». Sans doute parce qu’il s’agit en l’espèce de la reproduction de la photographie originale dans le cadre d’un montage spécifique (qualifié d’œuvre d’art) : la photo de Cañellas y apparaît clouée (ou retenue par des pinces) sur une planchette de bois.

De fait, la collection Bernès et Marouteau ne détient pas la photographie originale de Cañellas, mais une sorte de contretype donnant à voir cette photographie dans un arrangement particulier3.

Du point de vue qui m’intéresse, c’est là un détail, même si je regrette de ne pouvoir identifier la photographie d’origine. Le point positif et décisif reste de pouvoir, sur la foi de cette reproduction, attribuer ce très beau portrait de Suzanne Valadon avec son fils à Josep Maria Cañellas.

Voilà qui confirme, s’il en était encore besoin, la participation de Cañellas au bouillonnement artistique de Montmartre et sa fréquentation des différents acteurs de cet univers. Voilà qui justifie le motto « Photographie des Artistes » qu’il s’était choisi. Qu’il faut comprendre ici : photographie ayant pour sujet les artistes.

Tampon JMC au verso des cartons-supports de ses photographies

N.B. — En 1890 ou 1891, Suzanne Valadon n’est sans doute pas encore connue ou reconnue comme artiste, peintre ou dessinatrice. Elle l’est — et ô combien ! — comme modèle. Comme artiste de la pose, pourrait-on dire (et les amateurs ne manquèrent point). Or, le portrait dont il est question ici me semble ignorer cette célébrité un rien sulfureuse et célébrer plutôt la femme de tête, certaine de maîtriser son destin. Ce ne serait pas le moindre des mérites de Cañellas d’avoir su déceler et fixer cette force de caractère.

Notes & Références

1

Voir par exemple la version qu’en donne Wikimedia Commons, issue de la collection Weisman & Michel.

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2

Pour ces datations, je renvoie aux autres billets de ce blog, et notamment à celui-ci : Le « moment Wagram » de Josep Maria Cañellas (notes 2 et 3).

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3

Il serait intéressant de savoir qui possédait le portrait original ainsi mis en valeur sur une planchette de bois. Était-ce Suzanne Valadon elle-même ? Miquel Utrillo ? Toulouse-Lautrec ? Puvis de Chavannes ?

Il serait évidemment encore plus intéressant de savoir si cet original existe toujours quelque part.

J’ai pris contact avec le WPI pour voir s’ils en savaient plus.

Dans le même ordre d’idée, on pourrait peut-être également s’interroger sur un autre portrait par un photographe anonyme — Suzanne Valadon. Portrait au chapeau —, antérieur de quelques années à celui évoqué ici, et qui a dû également faire partie de la collection Bernès, Marouteau & Cie si l’on en juge par le tampon (rayé) qui figure au dos :

[Suzanne Valadon. Portrait au chapeau], c. 1885, Paris, Bibliothèque Marguerite Durand
[Suzanne Valadon. Portrait au chapeau], c. 1885, Paris, Bibliothèque Marguerite Durand [099 B 911].
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Mots-clés

Josep Maria Cañellas (1856-1902) ; Suzanne Valadon ; Maurice Utrillo ; portrait ; rue André-del-Sarte

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