Josep Maria Cañellas – Photographie des Artistes

Montage d’un extrait du Didot-Bottin (1901) sur une photographie attribuée à Josep Maria Cañellas.
Montage d’un extrait du Didot-Bottin (1901) sur une photographie attribuée à Josep Maria Cañellas.

J’ai eu plusieurs fois l’occasion d’évoquer dans de précédents billets les encarts publicitaires que Josep Maria Cañellas faisait paraître dans telle ou telle publication. Je vais y revenir ici et m’attarder un peu sur le contenu de ces réclames, car elles me semblent présenter un aperçu intéressant et précieux de la pratique professionnelle de Cañellas — ou du moins de l’image que Cañellas souhaitait en donner.

La majorité des publications promotionnelles de Cañellas que je connais ont paru dans les différentes éditions des annuaires par professions parisiens. L’évolution au fil des années de leur format et de leur contenu est par elle-même assez instructive.

Les annuaires par professions

D’après mes relevés, la première inscription de Cañellas dans le Didot-Bottin date de l’édition de 1893. Dans l’annuaire Paris-Adresses, elle date de l’édition de 1898. Et seulement de l’édition de 1899 pour le Paris-Hachette1.

C’est finalement assez tardif dans la carrière de Cañellas, dont l’installation à Paris date selon toute vraisemblance du début des années 18802.

Voici un aperçu chronologique des inscriptions de notre photographe.

1893

Didot-Bottin Inscription simple, avec les seuls nom et adresse du photographe, sans autre texte d’accompagnement.

Dans la liste alphabétique des inscrits, le nom est orthographié Cannellas. Dans la liste par professions, Cañellas apparaît sous la seule rubrique d’activité « Photographes » et le nom est bien orthographié Canellas.

L’adresse est celle du 60, boulevard de Clichy. On peut en déduire que Cañellas y était installé dès la seconde moitié de l’année 18923.

Annuaire Didot-Bottin (1893), liste alphabétique
Annuaire Didot-Bottin (1893), liste par professions

Didot-Bottin, édition 1893 (liste alpha. et liste pro.). Source : BnF/Gallica.

1894

Didot-Bottin L’inscription reprend les mêmes caractéristiques que celles de l’année précédente, à ceci près que, dans la liste alphabétique des inscrits, le nom est corrigé en Canellas. Dans la partie professions, il est toujours répertorié sous la seule rubrique « Photographes ».

Annuaire Didot-Bottin (1893), liste par professions

Didot-Bottin, édition 1894 (liste pro.). Source : BnF/Gallica.

1895

Didot-Bottin L’inscription reprend à nouveau les mêmes caractéristiques que celles de l’année précédente.

Elle ne fait plus mention des initiales des prénoms de Cañellas mais donne pour adresse le 65, rue des Abbesses. On peut en déduire que Cañellas y était installé dès la seconde moitié de l’année 18944.

Annuaire Didot-Bottin (1895), liste alphabétique
Annuaire Didot-Bottin (1895), liste par professions

Didot-Bottin, édition 1895 (liste alpha. et liste pro.). Source : Ville de Paris / Bibliothèque de l’Hôtel de Ville (cote 2754 tr 21-26).

1896

Didot-Bottin L’inscription reprend les mêmes caractéristiques que celles de l’année précédente (toujours sous la seule rubrique professionnelle « Photographes »).

Annuaire Didot-Bottin (1896), liste par rues
Annuaire Didot-Bottin (1896), liste par professions

Didot-Bottin, édition 1896 (liste par rues et liste pro.). Source : BnF/Gallica.

Paris-Adresses Pas d’inscription de Cañellas mais l’annuaire répertorie au 65, rue des Abbesses le photographe Poisson (présent à cette adresse les années précédentes selon Didot-Bottin) ; on peut penser qu’il s’agit d’un défaut de mise à jour.

1897

Didot-Bottin L’inscription reproduit à l’identique les caractéristiques des inscriptions des deux années précédentes.

Paris-Adresses Pas d’inscription ; au 65, rue des Abbesses, l’annuaire répertorie toujours le photographe Poisson.

1898

Didot-Bottin À compter de 1898, Cañellas ne se contente plus seulement d’une inscription simple. Dans les listes par professions, on le retrouve désormais inscrit deux fois :

  • sous la rubrique d’activité « Photographes » ;
  • sous la rubrique « Photographies (éditeurs de) ».

C’est dans cette dernière rubrique qu’il étoffe ses nom et adresse d’un texte promotionnel.

Son nom est orthographié avec le tilde (Cañellas) ; les initiales de ses prénoms font leur réapparition. L’adresse est désormais celle du № 35, avenue de Wagram. On peut en déduire qu’il y était installé dès la seconde moitié de l’année 1897 (voir le billet Josep Maria Cañellas à la Salle Wagram).

On est en droit de penser que c’est suite à ce déménagement qu’il aurait décidé d’investir dans des encarts publicitaires.

Annuaire Didot-Bottin (1898), liste alphabétique
Annuaire Didot-Bottin (1898), liste par professions

Didot-Bottin, édition 1898 (liste alpha. et liste pro.). Source : BnF/Gallica.

D’un point de vue commercial, il semble donc avoir voulu valoriser son activité d’éditeur de photographies plus que celle de simple photographe. Peut-être le Didot-Bottin se révélait-il un bon canal pour la prospection de distributeurs de ses photographies ?

Note — Joseph Kuhn (« d’Alsace » [sic, mais la précision a un certain sens à l’époque]), qu’on voit ici inscrit dans la même rubrique « Photographies (éditeurs de) », sera justement l’un des distributeurs des photographies de Cañellas (cf. le commentaire associé à la photographie du tramway place de Clichy conservée à la BhVP).

Paris-Adresses Première apparition de Cañellas dans cet annuaire (adresse : 35, avenue de Wagram), sous les deux mêmes rubriques que dans le Didot-Bottin (Photographes et Photographies (éditeurs de)).

Dans la rubrique Photographies (éditeurs de), l’inscription ne mentionne pas de texte promotionnel ; le nom Cañellas est toutefois imprimé en caractères gras de haut de casse.

Dans la rubrique Photographes, de manière inattendue, Cañellas est répertorié deux fois :

  • sous son nom propre, sans caractéristique particulière ;
  • sous l’appellation Photographie des Artistes — sans mention de son nom — dans un encart promotionnel très visible — où l’on remarque une (fâcheuse) erreur du copiste qui imprime en grand « édition I. M. C. » (au lieu de J. M. C.).

Dans cette dernière inscription, l’effacement complet du nom du photographe au profit de ce qui ressemble à une raison sociale (Photographie des Artistes) et d’une marque (Édition J.M.C.) est une initiative inédite qui me paraît corroborer l’effort marketing engagé suite au déménagement avenue de Wagram.

Annuaire Paris-Adresses (1898), Photographes Annuaire Paris-Adresses (1898), Photographes
Annuaire Paris-Adresses (1898), Éditeurs de photographies

Paris-Adresses, édition 1898 (liste pro. [Photographes et Éditeurs de photographies]). Source : BnF/Gallica.

On observera que, par rapport au Didot-Bottin, le texte promotionnel présente quelques variantes. Par exemple, un choix différent de mots-clés mis en gras est effectué : en place du mot-clé ACADÉMIQUES du Didot-Bottin, ce sont VALEUR RÉELLE DES COULEURS et STÉRÉOSCOPES qui sont retenus ici.

Contrairement au Didot-Bottin, l’encart promotionnel apparaît ici dans la rubrique Photographes et non pas Photographies (éditeurs de). Il pourrait s’agir d’une erreur de Cañellas à l’inscription, ou du copiste à la saisie des informations.

1899

Didot-Bottin L’inscription reprend les mêmes caractéristiques que celles de l’année précédente : inscription simple à la rubrique « Photographes » ; inscription enrichie du même texte promotionnel dans la rubrique « Photographies (éditeurs de) ».

Annuaire Didot-Bottin (1899), Photographes
Annuaire Didot-Bottin (1899), Éditeurs de photographies

Didot-Bottin, édition 1899 (liste pro. [Photographes et Éditeurs de photographies]). Source : BnF/Gallica.

Paris-Adresses L’inscription reprend les mêmes caractéristiques que celles de l’année précédente : double inscription (Cañellas et Photographie des Artistes) à la rubrique « Photographes » ; inscription en caractères gras de haut de casse dans la rubrique « Photographies (éditeurs de) ».

Annuaire Paris-Adresses (1899), Photographes Annuaire Paris-Adresses (1899), Photographes
Annuaire Paris-Adresses (1899), Éditeurs de photographies

Paris-Adresses, édition 1899 (liste pro. [Photographes et Éditeurs de photographies]). Source : BhVP.

À noter que l’erreur sur le nom de marque (« édition I. M. C. ») n’est pas corrigée dans cette édition.

Paris-Hachette Première apparition de Cañellas dans cet annuaire. Comme pour le Didot-Bottin, il y est répertorié, à l’adresse du 35, avenue de Wagram, sous les deux rubriques d’activité « Éditeurs de photographies » et « Photographes », dans les deux cas avec un encart promotionnel — dont la copie diffère assez sensiblement de celle du Didot-Bottin.

Annuaire Paris-Hachette (1899), Photographes
Annuaire Paris-Hachette (1899), Éditeurs de photographies

Paris-Hachette, édition 1899 (liste pro. [Photographes et Éditeurs de photographies]). Source : BnF/Retronews.

De manière amusante, cette même édition de l’annuaire Paris-Hachette répertorie dans la liste alphabétique des inscrits un Canellac, photographe, demeurant… 65, rue des Abbesses ! Je ne m’explique pas vraiment cette interpolation : sauf erreur de ma part, Cañellas n’était pas répertorié dans les éditions antérieures du Paris-Hachette.

Annuaire Paris-Hachette (1899), liste alphabétique

Paris-Hachette, édition 1899 (liste alpha.). Source : BnF/Gallica.

1900

Didot-Bottin L’inscription reprend les mêmes caractéristiques que celles de l’année précédente : inscription simple à la rubrique « Photographes » ; inscription enrichie dans la rubrique « Photographies (éditeurs de) » avec un texte promotionnel légèrement modifié par rapport à celui de l’année précédente afin de mettre en valeur la mention « Edition J. M. C. ».

Annuaire Didot-Bottin (1900), Éditeurs de photographies

Didot-Bottin, édition 1900 (liste pro. [Éditeurs de photographies]). Source : BnF/Gallica.

Paris-Adresses Homogénéisation des inscriptions avec celles du Didot-Bottin :

  • à la rubrique Photographes, Cañellas ne conserve qu’une entrée à son nom (qu’il fait désormais imprimer en caractères gras de haut de casse) ;
  • à la rubrique Photographies (éditeurs de), il fait insérer l’entrée « Photographie des Artistes »  — toujours sans mention de son nom propre — en reprenant le format d’encart promotionnel des années précédentes — et cette fois en corrigeant le nom de marque en « édition J. M. C. ».
Annuaire Paris-Adresses (1900), liste alphabétique
Annuaire Paris-Adresses (1900), liste par professions

Paris-Adresses, édition 1900 (liste pro. [Photographes et Photographies (éditeurs de)]). Source : BnF/Gallica.

Paris-Hachette L’inscription est répétée sous les deux rubriques d’activité « Éditeurs de photographies » et « Photographes ». Le texte des deux encarts promotionnels est entièrement modifié par rapport à celui de l’édition précédente et diffère également de ceux des deux autres annuaires.

Annuaire Paris-Hachette (1900), Photographes
Annuaire Paris-Hachette (1900), Éditeurs de photographies

Paris-Hachette, édition 1900 (liste pro. [Photographes et Éditeurs de photographies]). Source : BnF/Retronews.

Il est intéressant d’observer la transformation de la désignation Édition J.M.C. des autres annuaires qui devient ici Marque J.M.C., accentuant un peu plus le côté commercial de l’activité. De même, l’énumération des spécialités du studio (bicyclettes, chevaux) dont on ne trouve pas trace dans les deux autres annuaires.

1901

Didot-Bottin Caractéristiques d’inscription identiques à celles de l’année précédente : inscription simple à la rubrique « Photographes » ; inscription enrichie dans la rubrique « Photographies (éditeurs de) » avec le même texte promotionnel désormais complété par la mention « Ⓑ Expos. Univ. Paris 1900 » signalant sa médaille de bronze acquise lors de l’Exposition.

Annuaire Didot-Bottin (1901), Éditeurs de photographies

Didot-Bottin, édition 1901 (liste pro. [Photographies (éditeurs de)]). Source : BnF/Gallica.

Hasard de l’ordonnancement alphabétique dans l’annuaire, Cañellas figure souvent à proximité de J[oseph] Kuhn qui sera également le distributeur de ses photographies.

Paris-Adresses Dans cette édition, Cañellas réduit fortement la voilure et se fait enregistrer sous la forme la plus simple, sans aucune mise en avant typographique ni sans texte promotionnel. Il conserve les mêmes entrées distinctes dans les deux rubriques : Cañellas chez les photographes et Photographie des Artistes chez les éditeurs de photographies.

Annuaire Paris-Adresses (1901), liste alphabétique
Annuaire Paris-Adresses (1901), liste par professions

Paris-Adresses, édition 1901 (liste pro. [Photographes et Photographies (éditeurs de)]). Source : BnF/Gallica.

Je ne m’explique pas vraiment ce moindre investissement dans l’annuaire Paris-Adresses alors que ses inscriptions dans les deux autres annuaires restent inchangées et alors qu’il redemandera un encart publicitaire dans l’édition de 1902.

Paris-Hachette L’inscription est répétée sous les deux rubriques d’activité « Photographes » et « Photographies (éditeurs de) ». Les textes des encarts promotionnels sont inchangés, à ceci près que, à la rubrique « Photographes », Cañellas fait suivre son nom d’un symbole B signalant sa médaille de bronze acquise lors de l’Exposition.

Annuaire Paris-Hachette (1901), Photographes
Annuaire Paris-Hachette (1901), Éditeurs de photographies

Paris-Hachette, édition 1901 (liste pro. [Photographes et Photographies (éditeurs de)]). Source : BnF/Retronews.

Comme dans le Didot-Botin, on retrouve parmi les éditeurs de photographies l’inscription de Kuhn (J.) où ce dernier énumère un certain nombre des marques qu’il distribue.

1902

Didot-Bottin Caractéristiques d’inscription inchangées par rapport à celles de l’année précédente.

Annuaire Didot-Bottin (1902), Éditeurs de photographies

Didot-Bottin, édition 1902 (liste pro. [Photographies (éditeurs de)]). Source : BnF/Gallica.

Paris-Adresses Cañellas reprend ici les formats d’inscription enrichis adoptés dans l’édition de 1900, avec quelques variations typographiques mineures. L’entrée se fait toujours sous Cañellas chez les photographes et sous Photographie des Artistes ches les éditeurs de photographies.

Annuaire Paris-Adresses (1902), Photographes
Annuaire Paris-Adresses (1902), Photographies (éditeurs de)

Paris-Adresses, édition 1902 (liste pro. [Photographes et Photographies (éditeurs de)]). Source : BnF/Gallica.

Paris-Hachette Caractéristiques d’inscription inchangées par rapport à celles de l’année précédente.

Annuaire Paris-Hachette (1902), Photographes
Annuaire Paris-Hachette (1902), Éditeurs de photographies

Paris-Hachette, édition 1902 (liste pro. [Photographes et Photographies (éditeurs de)]). Source : BnF/Retronews.

Annuaire du commerce et de l’industrie photographiques Dans la première édition de cet annuaire spécialisé, publiée en 1902 par Charles Mendel, Cañellas fait paraître une inscription à son nom, sous la rubrique Éditeurs de photographies.

L’inscription est accompagnée d’un texte promotionnel assez similaire à celui du Didot-Bottin. On peut noter l’affichage d’un important logotype faisant la part belle au monogramme J.M.C.

Annuaire du commerce et de l’industrie photographiques (1902), Éditeurs de photographies

Annuaire du commerce et de l’industrie photographiques, édition 1902 (Éditeurs de photographies). Source : BnF/Gallica.

C’est le logotype présent dans cette inscription que j’ai réutilisé pour en faire l’icône de favori de la présente application.

Cañellas décède le 12 juin 1902 à son domicile de l’avenue de Wagram. Ses inscriptions dans les différents annuaires disparaissent après cette date.

Pour l’anecdote, on relèvera, dans l’édition de 1903 de l’annuaire Paris-Adresses, le maintien, à la rubrique Photographes, d’une mention de son nom à l’adresse de l’avenue de Wagram.

Annuaire Paris-Adresses (1903), Photographes
Paris-Adresses, édition 1903 (liste pro. [Photographes]). Source : BhVP.

Il s’agit sans doute d’un défaut de mise à jour de la part des services de l’annuaire (qui en présente plusieurs autres, à vrai dire).

Autres publications promotionnelles

Outre les annuaires professionnels parisiens, on peut relever quelques autres occurrences d’encarts promotionnels publiés dans des revues ou des ouvrages. À ce jour, j’en connais peu. Une exploration plus méthodique des publications des années 1898-1902 permettra peut-être d’étoffer ce petit corpus.

Anna Capella & Jaume Santaló5 avaient déjà repéré les encarts que Cañellas faisait paraître régulièrement dans El Correo de París : periódico semanal de actualidades ilustradas, revue hebdomadaire puis bimensuelle de la communauté hispanophone de Paris parue de 1886 à 1912, comme l’exemple suivant :

El Correo de París (30/04/1901), encart publicitaire de Cañellas
El Correo de París (30/04/1901), encart publicitaire de Cañellas. Source BnF/Gallica.

En parcourant l’ensemble des numéros de cette revue numérisés par la BnF (période janvier 1899 - décembre 1901), on remarque que cet encart publicitaire de Cañellas y est reproduit presque systématiquement en dernière page et toujours sous la même forme6.

Aparté

Il est amusant de noter que, dans plusieurs des numéros d’El Correo de París, la publicité de Cañellas en côtoie d’autres qui assurent la promotion des ouvrages de l’éditeur A. Charles.

On se souvient que Cañellas engagea et gagna (en juin 1901) une procédure contre cet éditeur pour l’utilisation abusive d’une de ses photographies en couverture du roman La Vierge de Babylone publié en 1899 (voir le billet À propos de la numérotation des photographies de Josep Maria Cañellas, note 18).

Je n’ai pas relevé de mention de La Vierge de Babylone dans les publicités que Charles fit paraître dans El Correo de París, mais j’ai noté qu’il n’hésitait pas à vanter le soin apporté aux illustrations de ses couvertures, comme dans l’exemple suivant :

El Correo de París (31/12/1899), encart publicitaire de Cañellas
El Correo de París (30/04/1901), encart publicitaire de l’éditeur A. Charles. Source BnF/Gallica.

La présence de cet éditeur très parisien dans une publication à destination d’un public hispanophone est quelque peu inattendue. Est-ce par le biais de cette revue que Charles aurait eu connaissance des travaux de Cañellas et notamment de la photographie litigieuse JMC 5355 ?

Autre exemple : l’encart qui paraît dans l’édition de 1902 de La Photographie du nu de C. Klary — et dont la copie apporte d’intéressantes précisions sur les réalisations et les prestations de Cañellas7.

C. Klary, La Photographie du nu (1902), encart publicitaire de Cañellas
C. Klary, La Photographie du nu (1902), encart publicitaire de Cañellas. Source BnF/Gallica.

À ce jour, je n’ai pas identifié d’autres éléments promotionnels des activités de Cañellas dans la presse généraliste ou spécialisée. Mais je ne désespère pas.

Les services et spécialités de la marque J.M.C.

En reprenant de manière un peu systématique le contenu des textes promotionnels précédents, on peut en extraire les mots-clés utilisés par Cañellas pour caractériser son activité. Sur la période 1898-1902, j’aboutis à la liste suivante :

  • académies
  • académies d’après nature
  • atelier au rez-de-chaussée
  • grand atelier
  • cartes-albums
  • cartes postales
  • grande collection de documents d’après nature
  • édition J.M.C.
  • seule grande collection d’études
  • seule grande collection d’études académiques d’après nature
  • grande collection d’études académiques d’après nature pour artistes et amateurs
  • études pour artistes
  • 4000 études de modèles vivants
  • format cabinet, salon, etc. pour stéréoscopes
  • hôtel privé
  • instantanés
  • instantanés de Paris
  • jardin
  • maison espagnole
  • marque J.M.C.
  • paysages
  • photographe des artistes
  • photographie des artistes
  • photographie des bicyclettes
  • photographie des chevaux
  • photographie hippique
  • portraits
  • portraits en tous genres
  • prix modérés
  • reproductions
  • exécution de scènes ou sujets pour annonces
  • spécialité pour artistes et amateurs
  • spécialité pour artistes et industries
  • spécialité pour bicyclettes
  • spécialité pour chevaux
  • stéréocospe
  • tous travaux photographiques
  • travaux photographiques pour les artistes et amateurs
  • valeur réelle des couleurs
  • vues
  • vues de Paris pour le stéréocospe

Ces mots-clés couvrent différents aspects de l’offre de services du photographe et apparaissent sans ordre particulier dans ses réclames.

On y reconnaît des thématiques comme :

  • le descriptif de son fonds éditorial :
    • académies (d’après nature) ; documents d’après nature ; études pour artistes ; instantanés de Paris ; paysages…
  • le public ciblé :
    • pour amateurs ; pour artistes ; pour industries
  • les spécialités de son travail :
    • photographie des bicyclettes ; photographie des chevaux ; photographie hippique ; exécution de scènes ou sujets pour annonces ; reproductions…
  • le type de produits réalisés :
    • cartes-albums ; cartes postales ; format cabinet ; stéréoscope
  • et quelques qualificatifs promotionnels :
    • valeur réelle des couleurs8 ; prix modérés…

On y relève un bon nombre de variantes, certaines sans conséquences (grande collection / seule grande collection ; portraits / portraits en tous genres…), d’autres plus intéressantes comme celle qui oppose le terme « photographe des artistes » (Didot-Bottin) à celui de « photographie des artistes » (ailleurs).

La mise en avant du fonds éditorial — et particulièrement des « études académiques d’après nature » — est l’élément le plus éminent et le plus constant de sa communication.

Elle s’accompagne des mentions « Édition J.M.C. » ou « Marque J.M.C. » qui en assoient la légitimité et la valeur commerciale.

Cañellas se présente d’abord comme un éditeur de photographies. Et d’abord comme un éditeur d’études académiques. En bon commerçant, et pour faciliter le travail de sélection par les « amateurs », il prépare à leur intention des catalogues illustrés, comme dans l’exemple suivant déjà évoqué dans un précédent billet :

Catalogue de photographies 5348-5363
Catalogue de photographies de la marque J.M.C.
(JMC, série 5000 [348-363])

On sait aussi, par les informations mentionnées dans un courrier commercial, qu’une politique tarifaire était établie et qu’elle couvrait tant la vente au détail que celle en gros.

À mon sens, les autres mots-clés décrivant le fonds éditorial dans la liste ci-dessus (paysages ; vues de Paris…) figurent à titre de supplétifs. Pour faire nombre. Ou servir d’alibi.

Vient ensuite la qualification de la chalandise, désignée en premier lieu comme le monde des artistes. C’est aussi ce que souligne le titre de « photographe des artistes » que s’attribue Cañellas dans le Didot-Bottin et le slogan légèrement différent de « photographie des artistes » qu’il utilise ailleurs et notamment sur les tampons humides apposés au dos de ses tirages.

Verso d’un carton de support d’une photographie de J. M. Cañellas

Le public des artistes, c’est la caution nécessaire à son office. Cañellas n’édite pas des photographies de femmes nues pour satisfaire à la lubricité du genre humain ; il le fait pour satisfaire aux besoins d’inspiration (toujours renouvelés) des artistes. Et, du reste, il dépose un certain nombre de ces images à la Bibliothèque nationale en gage de bonne moralité.

Toutefois, presque aussi fréquemment qu’aux artistes, Cañellas en appelle aux amateurs (« spécialité pour artistes et amateurs »).

Or, l’amateur, c’est un peu l’opposé du créateur ou de l’artiste (c’est même son antonyme, nous précise le Trésor de la langue française). L’amateur, c’est le consommateur. Il ne consomme pas les images à la façon de l’artiste, qui s’en sert comme d’un outil pour accompagner son geste créatif désintéressé ; l’amateur les consomme pour elles-mêmes, de manière très intéressée. Et il en consomme souvent beaucoup.

Si l’intérêt que l’amateur peut porter à la production des éditions J.M.C. n’a pas toujours la noblesse de celui de l’artiste, il a sur ce dernier l’avantage d’être sans doute bien plus rémunérateur. C’est donc en commerçant averti que Cañellas lui fait cet appel du pied.

J’ai noté enfin la discrète mention « spécialité pour industries » qui apparaît dans les annonces des dernières années. Je la rapproche d’une autre qui parle d’« exécution de scènes ou sujets pour annonces », terme un peu obscur mais qui pourrait désigner des travaux photographiques exécutés pour le compte d’entreprises commerciales et destinés à valoriser leurs réalisations.

Je la rapproche également d’une autre mention qui évoque des travaux exécutés « sur commande » (cf. l’encart dans l’ouvrage de Klary). C’est peut-être un tel travail de commande qu’on voit dans le cliché inhabituel d’un stand d’une exposition commerciale :

JMC s/n [id. 281]
JMC s/n [id. 281]

(J’émettais des hypothèses similaires à partir de ce même cliché dans le billet À propos de la numérotation des photographies de Josep Maria Cañellas.)

Le « moment Wagram »

Du panorama des inscriptions dans les annuaires parisiens et des exemples d’encarts publicitaires dans d’autres publications, il ressort que les actions de marketing de Cañellas débutent réellement avec son installation avenue de Wagram (fin 1897, début 1898, voir Josep Maria Cañellas à la Salle Wagram). Ce déménagement n’est pas un simple changement d’adresse, c’est aussi un changement de catégorie : Cañellas passe d’un studio en appartement à un studio en « hôtel privé » avec jardin.

Il est vrai qu’en quittant Montmartre, il quitte un environnement où il était établi depuis près de quinze ans et où, on peut l’imaginer, il s’était construit une certaine notoriété qui ne nécessitait pas un travail promotionnel particulier. Le bouche-à-oreille semble avoir suffi. (Il nous reste à recenser ces bouches et ces oreilles, mais pour ma part je les crois volontiers locales pour la plupart.)

Avenue de Wagram, c’était autre chose : le nouveau venu avait à se faire connaître. C’est une des explications que je vois à ce soudain recours aux textes publicitaires dans les annuaires puis dans la presse

Ce faisant, plus que comme photographe, il choisit de se positionner d’abord comme éditeur de photographies. C’est-à-dire comme un sélectionneur, un arrangeur, un revendeur d’images, en gros ou au détail. Des images de sa production bien évidemment — la fameuse « marque » JMC qu’il met en avant. Peut-être aussi des images produites par des tiers. Car un éditeur, c’est avant tout un catalogue, organisé par thèmes et s’appuyant sur un ensemble de marques et de signatures. C’est de cette façon, par exemple, que se présente l’éditeur Joseph Kuhn, comme on le voit aux encarts qu’il fait paraître dans les annuaires à côté de celles de Cañellas.

Annuaire Paris-Hachette (1901), Éditeurs de photographies
Paris-Hachette, édition 1901 (voir ci-dessus).
On reconnaît chez Kuhn des références prestigieuses, comme celles des frères Neurdein (X, ND) et de Léon & Lévy (LL).

Les raisons d’un tel positionnement sont sans doute à apprécier d’un point de vue commercial et économique. Et sans doute sont-elles motivées par le volume du fonds d’images que Cañellas a constitué à cette date. À commencer bien sûr par les « études académiques d’après nature » — les « 4000 études de modèles vivants », les nus donc — qui constituent sans aucun doute la plus grosse thématique de son catalogue d’éditeur. Peut-être un effet de seuil aura-t-il joué ici — Cañellas se vante de posséder la « seule grande collection d’études académiques d’après nature » — lui permettant d’envisager un revenu récurrent tiré de la commercialisation desdits nus.

Indéniablement, le marché existe ; l’explosion du nombre de revues spécialisées dans les portraits de femmes nues l’atteste (et des éditeurs comme Amédée Vignola y contribueront ardemment en sollicitant des producteurs d’images comme Cañellas justement9) ; l’atteste de même la prolifération exponentielle dès les années 1900 des cartes postales illustrées lesquelles, loin de se limiter aux vues de tous les villages et monuments de France et aux costumes régionaux, proposeront un catalogue fort étoffé de jeunes femmes très déshabillées.

Avenue de Wagram, c’est aussi un changement dans la vie privée de Cañellas : à la Noël 1898, il se marie à Jeanne Martin. Il a alors quarante-deux ans et — le sait-il déjà ou le pressent-il ? — il lui reste moins de trois ans à vivre. J’ai avancé dans un autre billet (Le Mystère des sœurs Martin) que ce changement ne paraissait pas uniquement d’ordre privé ; l’irruption dans la vie de Cañellas de sa belle-famille — les Martin — a manifestement influencé son activité professionnelle.

L’hypothèse que j’hasarde ici est celle d’une prise en main de la conduite des affaires de Cañellas par les deux sœurs Martin — Jeanne, l’épouse, et Victorine dite Colombe, son entreprenante petite sœur. Moins pour en écarter Cañellas que pour substituer à une conduite de ses activités peut-être un peu dilettante une autre, plus ambitieuse, plus volontaire, plus conquérante.

Je soupçonne en effet Cañellas d’avoir été un artiste plus qu’un businessman, un bricoleur et un touche-à-tout plus qu’un carriériste ; à l’inverse, je crois déceler en Jeanne et Colombe Martin l’association — fusionnelle, semble-t-il — de deux jeunes femmes déterminées, bien décidées à échapper à leur condition modeste et à « réussir »10.

Voilà pour le schéma balzacien et la vision romanesque.

Mais c’est tout de même à partir d’un schéma de cette sorte que je m’explique volontiers toute une suite d’événements qui semblent se précipiter à partir du tournant des années 1897-1898 :

  • le déménagement avenue de Wagram (fin 1897) ;
  • les inscriptions en premium dans les annuaires (fin 1897) ;
  • le mariage (fin 1898) ;
  • l’affiliation à la Chambre syndicale de la photographie (1898) ;
  • le dépôt légal à la Bibliothèque Nationale d’un (modeste) contingent de photographies (1899) ;
  • l’inscription à l’Exposition universelle (1900) ;
  • l’affaire en justice contre l’éditeur Charles (1901).

Toutes opérations11 qui semblent relever d’un plan d’actions concertées pour se faire un nom dans le monde de la photographie parisienne.

Et qui s’accompagnent peut-être tout autant d’un changement de démarche et de style dans sa production photographique.

Aparté

Pour ce qui est du changement de démarche, j’ai en tête le développement et la diffusion, sous la marque « J. M. C. », de cartes postales dérivées des photographies de Cañellas.

À l’époque, le marché de la carte postale brasse en France des volumes considérables : huit millions de cartes postales sont éditées en 1900. Les sujets sont innombrables et ceux spécialisés dans l’érotisme ou la gauloiserie participent pleinement au mouvement. Il n’est pas étonnant qu’un producteur de nus prolifique comme l’était Cañellas ait voulu en prendre sa part.

De nombreuses photographies de Cañellas ont été diffusées sous la forme de cartes postales, généralement sans lui être attribuées. Mais il s’agit alors d’une diffusion assurée par des tiers — et peut-être postérieure au décès du photographe. Ainsi des exemples que j’ai pu répérer, présentés comme des « Études Artistiques » :

JMC 5692 (?)
Série de cartes postales Études Artistiques, JMC 5692 (?).

On trouvera de nombreux autres exemples dans la base de données en faisant une recherche sur « cartes postales ».

Je ne connais aujourd’hui qu’un seul exemple, mais assez significatif, de cartes diffusées sous sa marque. C’est celui de la série d’Un Dîner champêtre, comprenant dix vues ordonnées, dont voici la première :

Photo id. 909 (JMC s/n)
Édition J.M.C. Paris, série de cartes postales Un Dîner champêtre, photo № 1.

Quelqu’ait été le succès et la pérennité de l’initiative, la signature « J. M. C. Paris » apposée en marge de ces cartes est une autre claire attestation du positionnement d’éditeur revendiqué par Cañellas.

Pour ce qui est du changement de style, il me semble qu’on peut relever des différences assez marquées entre les premiers nus de Cañellas et les derniers — du moins, si l’on admet que la numérotation des clichés, lorsqu’elle existe, suit une progression chronologique12.

De mon point de vue, ces différences se remarquent avant tout au soin apporté à la mise en scène des modèles.

Alors qu’une grande partie des premiers nus de Cañellas posent de manière plutôt académique devant un fond uni et sombre et avec un nombre réduit d’accessoires, les derniers nus au contraire évoluent de manière beaucoup plus libre, dans des décors sophistiqués, très chargés en accessoires divers (tentures, mobilier, bibelots…), comme c’était alors l’usage dans les intérieurs bourgeois13.

Ainsi du contraste entre les deux exemples suivants :

Par ailleurs, il me semble que cette évolution du decorum en révèle une autre où je croire lire un passage progressif de la photographie autonome — épuisant par elle-même son sujet (la pose académique ou suggestive) — au photogramme — lequel s’inscrit dans une série qui lui confère un sens plus étendu (la saynète) : progressivement, les séries passent de la simple accumulation de vues d’un même modèle dans différentes poses à une organisation en histoires dont les modèles sont les actrices…

À mon sens, avec ces dernières séries, nous sommes clairement au seuil de l’animation des images.

En invitant un modèle à poser dans son studio, Cañellas réalisait évidemment à chaque séance un nombre conséquent de clichés : pour les photographies numérotées, il n’est pas rare d’observer des plages couvrant une cinquantaine de numéros consécutifs14. Encore une fois, l’évolution de son travail porte, me semble-t-il, sur la scénarisation de ces séries, ou du moins d’une partie de ces séries, même si ladite scénarisation relève très-souvent de schémas parfaitement conventionnels attestés ailleurs dans la production photographique de l’époque (les scènes de strip-tease liées au bain ou au coucher d’une jeune femme présentée comme « La Parisienne », celles liées à la pose chez un artiste-peintre ou à la visite du tailleur, la chasse à la puce égarée dans le pantalon, etc.).

L’aboutissement de la démarche en est les ensembles séquencés et numérotés de cartes postales comme le Dîner champêtre déjà évoqué, le Bain à la cour des lions de l’Alhambra ou la Chasse aux papillons.

JMC s/n [id. 724]
JMC s/n [id. 724], 1er élément de la série Chasse aux papillons.

Rappelons enfin que, pour toléré qu’il fut — et ce jusque vers 1907-1908 —, ce marché de la photographie de nu, en tirages papier ou sous forme de cartes postales, restait malgré tout un commerce un peu particulier, réclamant quelques précautions dans ses manifestations et dans la prospection de sa clientèle.

C’est bien dans cet esprit qu’il faut comprendre le passage de Cañellas au dépôt légal de la B.N. : les nus qu’il y verse le sont au titre d’œuvres artistiques réalisées dans un but exclusivement esthétique. (Il se trouve que la France regorge d’esthètes aux demandes pressantes desquels il sera dès lors légitime de répondre — sous pli discret, il va sans dire.)

Et je crois que c’est dans ce même esprit qu’il faut relever le passage de la veuve de Cañellas au dépôt légal de la B.N. le 8 août 1902 pour y verser une nouvelle série d’« études de nu » : quelle meilleure preuve que ce nouveau dépôt de la poursuite, par les soins de Jeanne Martin et de sa sœur Colombe, des activités des éditions J.M.C. ? Et surtout de l’orientation de son catalogue… Et comment dès lors ne pas penser qu’elles aient été déjà, du vivant de Cañellas, à la manœuvre pour engager cette orientation ?

Au reste, après le décès de Cañellas, la mention Photographie des Artistes disparaît complètement des annonces qu’elles font encore paraître pendant quelques années dans le Didot-Bottin ; ne subsiste que celle de la marque J.M.C., « seule grande collection d’études académiques d’après nature »…

Annuaire Didot-Bottin (1904), Photographies (éditeurs de)
Didot-Bottin, édition 1904 (liste pro. [Photographies (éditeurs de)]). Source : BnF/Gallica.

Le « moment Wagram » donc, c’est pour Cañellas l’adieu à Montmartre et la fin de la bohème, des expérimentations, des travaux à la petite semaine d’autrefois. C’est une nouvelle vie, c’est un nouveau métier.

C’est l’effacement du nom du photographe derrière celui d’une marque (« Photographie des Artistes », « Marque J.M.C. »). C’est ce lancement en grandes pompes d’une activité d’éditeur et non plus de simple opérateur. C’est le recentrage et la rationalisation du travail photographique sur quelques thématiques porteuses (dont l’érotisme un peu kitsch si caractéristique de l’époque).

C’est aussi le passage du studio de quartier étriqué à l’hôtel privé statutaire. C’est le choix d’un quartier excentré mais à fort potentiel, au plus près du grand monde et des grosses fortunes des Champs-Élysées et de la colline de Chaillot.

Le « moment Wagram », à mon sens, ce fut un pari, l’intuition que le moment était venu pour le photographe d’entrer dans la cour des grands, d’installer un Cañellas nouveau, avec tous les attributs de l’entreprise propère (et un côté un peu parvenu). Encore une fois, je ne crois pas qu’il s’agisse là d’une initiative de Cañellas lui-même ; j’y vois plutôt la main des deux sœurs Martin.

Je parle d’un pari mais, si c’est le cas, je n’en ai pas encore identifié l’élément déclencheur : fut-ce une soudaine manne financière ? un héritage ? un solide gain au PMU récemment lancé par Joseph Oller, un compatriote que Cañellas avait sûrement croisé au Moulin Rouge ? Ou ce pari fut-il le dernier coup de poker d’un Cañellas aux abois, pressé par ses créanciers, jouant le tout pour le tout dans une ultime tentative de trouver la martingale de sa profession ?

Quoi qu’il en soit, l’opération Wagram s’achèvera assez tôt, avec le décès soudain de Cañellas, le 12 juin 1902. Si elle ne fut pas nécessairement la success story espérée, ce ne fut sans doute pas non plus un échec patent. En témoigne le pouvoir de gérance donné par Cañellas, quelques jours avant sa mort, à son épouse Jeanne, confiant à cette dernière la pleine conduite de ses biens et affaires commerciales.

Sous un angle mélodramatique et en voyant le mal partout, on pourrait envisager que ce pouvoir ait été arraché à un Cañellas affaibli par une épouse accaparatrice mais, pour l’heure, j’en retiens d’abord qu’il signale l’existence de biens dont la valeur méritait d’être enregistrée sur un document officiel.

Aparté

Un extrait de ce pouvoir, signé au consulat d’Espagne à Paris et conservé aux archives diplomatiques de Madrid, est présenté dans le billet Le Mystère des sœurs Martin. Il détaille, selon des formules juridiques génériques, la nature des pouvoirs de gérance conférés à Jeanne Martin mais ne fournit pas d’estimation de la valeur des biens.

N.B. — À la relecture de ce document, je relève que Cañellas est désigné comme « fotografo-editor » et que les pouvoirs de gérance s’appliquent bien à un « establecimiento fotografico-editorial », en cohérence donc avec le statut d’éditeur de photographies revendiqué dans les annuaires par professions.

Mais si ce pouvoir signé le 6 juin 1902 ne nous dit rien de la valeur des biens laissés derrière lui par Cañellas, et en particulier de la valeur de son commerce d’éditeur, on en apprend un peu plus à la lecture de la déclaration de succession enregistrée suite à son décès et qu’on peut consulter aux Archives de la Ville de Paris (cote DQ7 30695, décl. № 2149 du 12 décembre 1902).

Cette déclaration de mutation nous révèle plusieurs choses :

  1. que Jeanne Martin est bien l’unique légataire et bénéficiaire de la succession ;
  2. que la succession est constituée de biens issus de la communauté de vie entre les deux époux ;
  3. que les biens se répartissent en (a) effets courants (meubles, matériel, linge, bijoux…), (b) un terrain situé à Rueil (Seine & Oise) dans le parc de la Malmaison15, (c) une petite propriété sise au Mont-Saint-Adrien (Oise, commune où habite le père de Jeanne Martin) ;
  4. que la valeur en capital de l’ensemble des biens est estimée à 7300 Frs ;
  5. qu’il faut en déduire des dettes à hauteur de 4000 Frs ;
  6. que le montant net de la succession s’élève donc à 3300 Frs.

Je n’ai pas eu l’occasion encore d’approfondir cette déclaration de succession pour en apprécier tous les détails mais j’en retiens déjà qu’elle rend compte d’une succession somme toute plutôt modeste. Manifestement, Cañellas n’avait pas fait fortune dans sa pratique d’éditeur de photographies.

N.B. — Si modeste qu’ait été la succession, il est permis de penser qu’elle couvrait aisément l’achat d’une concession au cimetière parisien de Saint-Ouen en mémoire du photographe. On sait qu’il n’en fut rien : nul ne semble s’être préoccupé d’une sépulture pérenne et les cendres de Cañellas bientôt se mêlèrent à celles de la fosse commune.

Modeste en l’état, certes, mais c’est aussi parce qu’il ne s’agit là que des biens de la communauté de vie des deux époux. Via le pouvoir évoqué plus haut, Cañellas avait déjà, de son vivant, légué à son épouse ses biens commerciaux, à savoir les éditions J.M.C. N’entrant pas dans le périmètre de la succession, ces actifs n’ont (malheureusement pour nous) pas fait l’objet d’une évaluation dans ce cadre ; on peut toutefois leur supposer une valeur non négligeable.

Des deux documents évoqués, on apprend donc que Jeanne Martin, la veuve de Cañellas, se retrouve à 37 ans propriétaire d’un petit terrain à la Malmaison et d’une petite habitation dans l’Oise (qu’elle semble louer à son père), et dirigeante de fait — elle qui se déclare « sans profession » — d’une entreprise d’édition photographique connue pour ses portraits de nu.

Dans l’immédiat, deux grandes options s’offrent à elle : soit poursuivre l’activité de feu son mari et assurer de la sorte ses moyens d’existence, soit trouver un repreneur pour les éditions J.M.C. et en obtenir une rente de situation.

C’est sans doute alors qu’entre véritablement en scène sa sœur Colombe qui va la convaincre de poursuivre un travail d’éditrice de photographies et avec laquelle va s’opérer un retour aux sources montmartroises. Très-rapidement en effet, elles quittent l’hôtel privé de l’avenue de Wagram et s’établissent à Montmartre — au 15, rue Véron semble-t-il, et, un peu plus tard, au 7, rue André-Gill.

L’aventure tournera court après quelques années et Jeanne mettra en vente le fonds photographique des éditions J.M.C.

Récapitulatif

La mort précoce de Josep Maria Cañellas est évidemment la première explication au caractère inachevé de son parcours. Il n’aura pas eu le temps, par lui-même ou par l’intermédiaire de tiers, de rendre compte de sa démarche et nous en sommes — moi le premier — à bricoler un tel compte rendu à partir d’indices épars, plus ou moins pertinents, plus ou moins parlants, plus ou moins bien interprétés.

En synthétisant les données recueillies jusqu’ici (je renvoie aux précédents billets de ce blog et aux références qui y sont mentionnées), il me semble qu’on peut dégager trois grandes périodes dans la vie active de Cañellas, que je résumerais ainsi :

  • 1880 - 1887 — La montée à Paris.
    À une date donnée ou peut-être suite à plusieurs allers-retours, Cañellas quitte Barcelone pour s’établir à Paris et gérer la succursale du « dépôt de photographies » barcelonais rue Bervic. La succursale prend peu à peu son autonomie et réclame un plein-temps de Cañellas.
    Il s'installe pour de bon à Paris et loue un logement dans un appartement nouvellement construit rue André-del-Sarte. Il y accueille sa mère, veuve pour la seconde fois, qui y décèdera en juillet 1888.
    Son activité première est alors la reproduction photographique des œuvres d’art nouvellement exposées (salons, musées). Il perfectionne son expertise dans la technique de la reproduction photographique et se fait peut-être un nom dans le domaine. Il noue alors des contacts avec le monde artistique parisien.
  • 1887 - 1897 — Les années Montmartre.
    Cañellas se met à son compte et œuvre pour une clientèle composée tout d’abord d’artistes. Pour leur fournir des reproductions de leurs œuvres, puis, de plus en plus, pour leur fournir des images de « modèles vivants ». Il opère dans ses studios successifs de la rue André-del-Sarte puis du boulevard de Clichy puis de la rue des Abbesses.
    Il garde toutefois un lien fort avec la Catalogne : sa notoriété naissante le fait retenir comme opérateur des deux projets de reportage documentaire menés sur place, initiés et financés par le mécène Rubaudonadeu (1888 et 1891).
    À Paris, l’exploitation du filon du nu (à destination cette fois d’un autre public que celui des seuls artistes) semble avoir assuré le gros de ses revenus.
    Il mène en parallèle diverses expérimentations sur les techniques de prise de vue et va jusqu’à déposer en 1896 un brevet pour un système d’enchaînement paramétrable de prises de vue (« photographies animées »).
  • 1897 - 1902 — Les années Wagram.
    Un ensemble de facteurs semblent avoir initié un grand bouleversement dans la vie de Cañellas. À commencer par sa rencontre, à une date encore indéterminée, avec Jeanne Martin, puis son mariage (Noël 1898).
    Changement de braquet dans son activité professionnelle : location d’un grand studio avec jardin attenant ; lancement de sa marque d'éditeur « J.M.C. » ; forte activité promotionnelle ; inscription à la Chambre syndicale de la photographie ; sélection à l’Exposition universelle de 1900.
    La photographie de nu — dans des mises en scène de plus en plus sophistiquées — demeure sa source de revenus principale. Il se lance dans l’édition de cartes postales et semble avoir noué plusieurs accords de distribution avec d’autres acteurs.

En explorant ici ce troisième temps parisien de la vie de Cañellas qui contraste assez nettement avec les deux premiers, je crois en avoir saisi quelques aspects bien spécifiques, mais j’hésite encore sur l’interprétation qu’on peut en donner : les années Wagram signaient-elles la conclusion de son parcours de photographe ? Ce rôle d’éditeur et de distributeur de photographies de nu marquait-il l’aboutissement (désirable, honorable, mérité) d’une carrière ? Ou s’agissait-il d’une parenthèse, d’une tentative, disons alimentaire, de gagner vite et bien suffisamment d’argent pour passer à autre chose et réaliser ce qui lui tenait vraiment à cœur ?

(Et, puisqu’il est question de cœur, que dire et que penser de Jeanne Martin ? Son influence sur son mari, si influence il y eut, fut-elle faste ou néfaste ? féconde ou réductrice ? éclairante ou aveuglante ? Par exemple, Cañellas voyait-il en Jeanne sa Josephine de Beauharnais pour acheter ce terrain à la Malmaison ?)

Notes & références

1

Didot-Bottin Annuaire-almanach du commerce, de l’industrie, de la magistrature et de l’administration : ou almanach des 500.000 adresses de Paris, des départements et des pays étrangers : Firmin Didot et Bottin réunis, Paris : Firmin-Didot frères, 1857-1908. [Catalogue BnF]
Communément appelé Annuaire Didot-Bottin, ce monument du XIXe s. est né de la fusion en 1856 de l’Almanach-Bottin du commerce de Paris, des départemens de la France et des principales villes du monde de Sébastien Bottin et de l’Annuaire général du commerce, de l’industrie, de la magistrature et de l’administration des frères Ambroise & Hyacinthe Firmin-Didot.

Paris-Adresses Paris-adresses : annuaire général de l’industrie et du commerce : corps constitués, administrations, professions libérales, propriétaires, rentiers, etc… de Paris et du département de la Seine, Paris : Ch. Alavoine et cie, [1890]-[193.]. [Catalogue BnF]
Une information très appréciable fournie dans cet annuaire est le nom des propriétaires des immeubles parisiens.

Paris-Hachette Paris-Hachette : manuel pratique de la vie quotidienne : petit dictionnaire guide : carrières, professions, biographies, statistiques, Paris : Librairie Hachette et cie, 1897-1914. [Catalogue BnF]

Ces différents annuaires sont, pour une grande partie, accessibles dans des versions numérisées mises en ligne sur le site Gallica de la BnF. Les exemplaires numérisés du Paris-Hachette le sont sur le site Retronews de la BnF.

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2

Pour la datation de son arrivée à Paris, on trouve dans la presse catalane de février 1883 la mention d’une activité commerciale de Cañellas à Paris, sous la forme d’une succursale au studio photographique qu’il dirigeait à Barcelone avec son cousin Enrique Cañellas. Cette succursale était établie au № 6 de la rue Bervic (dans un hôtel qui existe encore de nos jours).

Voir par exemple la brève parue dans le numéro du 10 février 1883 de la revue Lo Nunci (p. 4, col. centrale), numérisé sur le site de la Bibliothèque de Catalogne (Archives des revues catalanes anciennes). Le descriptif qu’on peut y lire des activités du studio barcelonais des cousins Cañellas et de sa succursale s’avère particulièrement instructif.

[Mes remerciements à Carles Esporrín (co-réalisateur avec Luz López d’un documentaire consacré à Cañellas) pour cette référence.]

La succursale parisienne fut également répertoriée au № 21 de la rue de la Nation (actuelle rue de Sofia) — sans doute un autre hôtel. Les rues Bervic et de la Nation sont deux voies très proches l’une de l’autre, partant du boulevard Barbès, et à proximité immédiate de la rue André-del-Sarte où Cañellas s’installera fin 1887 ou début 1888.

(J’avance cette dernière date au vu du permis de construire d’un immeuble de rapport au № 17 de la rue André-del-Sarte, enregistré au Bulletin municipal de la ville de Paris en août 1886, et dont les travaux étaient vraisemblablement déjà engagés deux ou trois mois plus tôt, dès mai ou juin 1886, à la date de délivrance du permis. On peut penser que Cañellas emménagera dans l’immeuble nouvellement construit. Il y emménagera sans doute avec sa mère, Emilia Mata, dont le second mari décède à Barcelone en février 1887. Elle-même décèdera peu après, le 6 juillet 1888, à cette adresse du 17 rue André-del-Sarte.)

Note personnelle — Il faudrait que je rassemble et résume dans un prochain billet les dates et connaissances factuelles relatives à la biographie de Cañellas.

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3

La déduction se justifie par le fait que les inscriptions pour l’édition d’une année donnée devaient être transmises à la maison Didot-Bottin avant le 1er octobre de l’année qui précédait. Soit avant le 1er octobre 1892 dans le cas qui nous occupe.

Mais il est également envisageable que Cañellas ait installé son studio à cette adresse depuis plus longtemps sans s’être inscrit dans les annuaires. En 1889, il est encore domicilié au 17, rue André-del-Sarte — c’est l’adresse qui figure sur l’Album Rubaudonadeu. Son déménagement au boulevard de Clichy intervient donc à une date encore inconnue entre la mi-1889 et la mi-1892.

Voir à ce sujet le billet Josep Maria Cañellas à la Villa des Platanes.

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4

Je n’ai guère d’informations sur cette adresse de la rue des Abbesses, dont le bâtiment, qui fait l’angle avec la rue Lepic, reste aujourd’hui encore assez proche de ce qu’il était dans les années 1890-1900.

Il a abrité les studios de plusieurs photographes, avant Cañellas et après lui.

On en connaît quelques vues via des cartes postales — l’une d’entre elles montrant l’enseigne d’un photographe — et via une belle photo d’Hippolyte Blancard, sans doute prise avant l’arrivée de Cañellas dans les lieux.

931. PARIS — Rue Lepic. Rue des Abbesses. Éditeur : E.L.D. Source CPArama.
931. PARIS — Rue Lepic. Rue des Abbesses. Éditeur : E.L.D. Source CPArama.
Rue des Abbesses, 18ème arrondissement, Paris. Source Musée Carnavalet.
Hippolyte Blancard, Rue des Abbesses (vers 1890). Source Musée Carnavalet, Histoire de Paris.

Voir aussi quelques développements annexes autour de cette adresse dans le billet Digression sur un portrait d’Edmond Archdeacon par Josep Maria Cañellas.

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5

Anna Capella, Jaume Santaló, Josep Maria Cañellas, Reus 1856-París 1902 : photographie des artistes, Figueres : Museu Empordà ; [Sant Lluís, Menorca] : Triangle Postals, 2005 (ISBN 84-934481-0-9 / EAN 9-788493-44810-3).

Il s’agit du catalogue de l’exposition consacrée à Cañellas et présentée au Musée de l’Empordà à Figueres à l’hiver 2005-2006.

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6

L’adresse mentionnée étant celle du 35, avenue Wagram, l’encart en question a dû faire son apparition à compter des numéros de l’année 1898.

Sauf erreur de ma part, son format, son contenu et son positionnement sur la page demeurent identiques sur toute la période de parution accessible via Gallica.

Le dessin d’illustration est l’œuvre du peintre et dessinateur péruvien Daniel Hernández (1856-1932) qui fut l’un des témoins au mariage de Cañellas. Voir le billet La muse de la photographie (Josep Maria Cañellas & Daniel Hernández).

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7

Il s’agit vraisemblablement d’un renvoi d’ascenseur pour l’utilisation que faisait cet ouvrage d’une photographie de Cañellas (en l’occurrence JMC 6086).

Une édition de La Photographie du nu a été numérisée par la BnF et peut être consultée sur Gallica (voir p. 26).

C. Klary (le « C. » n’est jamais développé) est le pseudonyme de Charles Louis Graindépice (1837-1912), photographe mais aussi éditeur, rédacteur et traducteur de plusieurs ouvrages relatifs à la photographie. Il commença sa carrière en Algérie, à Oran, en se réclamant de Nadar. À Paris, il s’associa un temps à Wilhelm Benque avant d’opérer sous son seul nom. Il ouvrit une école de photographie au 13, rue Taitbout, d’où il éditait également une revue intitulée Le Photogramme. Il semble avoir terminé sa carrière à Bruxelles en ouvrant un studio à son nom et qui lui survécut.

Cañellas connaissait Klary au moins depuis l’Exposition universelle de 1900 à laquelle ils participèrent tous deux. Faut-il voir dans ce contact un possible intermédiaire auprès des cigarettiers d’Algérie qui réutilisèrent sous forme de chromos un très grand nombre de photographies signées JMC ? Peut-être. Peut-être pas. (Sur les chromos tirés des photographies de Cañellas, voir le billet Voluptés partent en fumée (Josep Maria Cañellas à Alger).)

Voici quelques références sur Klary :

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8

N’étant pas spécialiste de la photographie ancienne, ce terme de « valeur réelle des couleurs » m’avait intrigué. Cañellas aurait-il pratiqué la photographie en couleur avant l’heure ? Évoquait-il la colorisation de ses photographies dans leur diffusion sous forme de cartes postales ?

Non. Le terme désigne l’aptitude à restituer au mieux et de façon constante via les tons de gris de la plaque sensible les différences de couleurs observables sur le sujet photographié. L’aptitude donc à capturer et à distinguer le bleu du vert, le rouge du jaune, le brun du violet, etc. dans leurs traductions en teintes de gris. La capacité en somme à faire de la couleur en noir et blanc.

Il semble que la question ait vivement intéressé la communauté des photographes du XIXe s. et suscité divers procédés et techniques pour y apporter des solutions plus ou moins satisfaisantes. Jusqu’à l’irruption des plaques et pellicules sensibles à la couleur, à commencer par les autochromes des frères Lumière.

Dans un compte rendu de lecture extrait du Bulletin de l’Association belge de photographie de 1898, on lit par exemple :

Pour s’assurer de la valeur réelle des couleurs dans les photographies de paysages. — Une grande faute, qui peut être imputée à presque tous les photographes paysagistes, est de ne pas se rendre compte de la valeur des couleurs.

Toutes les couleurs n’ont pas sur la plaque sensible la même action que sur la rétine de notre œil. Maintes couleurs qui nous paraissent sombres, affectent la plaque avec plus d’éclat, tandis que d’autres qui apparaissent à l’œil très claires n’ont qu’un effet très superficiel sur la plaque. Mais la plus grande contradiction règne pour le violet, l’indigo et le bleu, lesquels ont chimiquement le plus d’action et font paraître tel objet en blanc dans la photographie. Les plus noirs qui sont : les verts, oranges, jaunes et rouges ont à peu près le même effet chimique et visuel. Si le photographe était capable de se représenter ces rayons, la valeur correcte des couleurs serait rendue. L’auteur [dans le Wilson’s Photographic Magazine] essayera, dit-il, de démontrer aussi brièvement que possible comment on peut obtenir ces résultats. Il faudra se graver dans l’esprit que presque tous les objets colorés réfléchissent au moins un des sept rayons formant la lumière blanche. Tel étant le cas, il est possible d’éliminer une partie de ces rayons et d’en avoir assez pour faire une peinture. Les rayons qui sont à éliminer, sont ceux qui ont plus de pouvoir chimique que d’intensité usuelle, tels sont : les violets, les indigos et les bleus, dans quelques cas une partie des verts.

On peut séparer les rayons violets des rayons bleus, en faisant passer ces rayons au travers d’un écran formé d’une dissolution de bichromate de potasse. Cette liqueur a la propriété de tout absorber, excepté le vert sombre, l’orangé, le jaune et le rouge, et est appelée pour cette raison filtre à rayons. Il existe naturellement d’autres sortes de filtres, formés de verres jaunes ; les résultats obtenus avec ceux-ci sont rarement corrects, parce que tous laissent passer une partie des rayons violets.

Pour le paysagiste, il est avantageux que la solution de bichromate de potasse soit contenue dans une espèce de cellule formée de deux verres d’optique parfaitement plans et à surfaces parallèles que l’on cimente en y laissant une séparation au moyen d’un anneau. Un tel écran peut se fixer devant n’importe quel objectif. Pour l’usage de ce fitre, la véritable proportion entre la lumière et l’ombre est maintenue dans le paysage. La véritable perspective de la scène est accentuée par l’émission correcte de l’intensité de l’avant et de l’arrière plan. Des masses de verdure de différentes couleurs se représentent en relief : la valeur normale du ciel apparaît et s’il y a des nuages, ceux-ci se reproduisent en détail et avec leur intensité naturelle.

Il est presque impossible de reproduire des paysages de printemps ou d’automne, des effets de neige ou des montagnes, sans l’interposition d’un tel écran. Comme les rayons actiniques ne traversent que difficilement le filtre, il est avantageux de n’employer que des plaques spécialement sensibilisées pour ces rayons. Comme ces plaques se trouvent dans le commerce au même prix que les plaques ordinaires, on devrait les employer invariablement pour le paysage.

[Source de la version numérisée du Bulletin : Internet Archive (pp. 145-146).]

Dans ce contexte, se prévaloir de la « valeur réelle des couleurs » dans ses réalisations était un plus, un signe de sérieux et de qualité que Cañellas avait tenu à souligner.

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9

Parmi les très nombreuses contributions d’Amédée Vignola à la glorification du corps nu féminin par la photographie, on peut citer les revues L’Etude académique ou Mes Modèles, parues entre 1903-1904 et 1914 (on en trouvera la version numérisée d’un grand nombre de numéros sur Gallica).

Ces revues suivent un même schéma qui est de présenter à chaque numéro une série de reproductions de nus féminins enrobée dans une prose roborative et édifiante (qui ne dédaigne pas à l’occasion véhiculer les stéréotypes les plus éculés sur les mérites et les défauts des différentes races humaines). L’objectif avoué de ces publications était de faire acheter à ses lecteurs des tirages papier des photogravures reproduites dans la revue :

Revue ’L’Étude académique’ № 11, 1<sup>er</sup> juillet 1904
Revue L’Étude académique № 11, 1er juillet 1904. Source BnF/Gallica.
Revue ’Mes Modèles’ № 6, 30 juin 1905
Revue Mes Modèles № 6, 30 juin 1905. Source BnF/Gallica.
Revue ’Mes Modèles’ № 6, 30 juin 1905
Revue Mes Modèles № 36, 20 avril 1906. Réclame pour une autre publication de Vignola. Source BnF/Gallica.

Pour alimenter en images de telles revues, Vignola et ses confrères ont puisé à différentes sources, et notamment dans les productions de Cañellas.

Ainsi, un des numéros de la revue Mes Modèles (№ 36 du 20 avril 1906) expose jusqu’à onze photographies qu’on peut sans hésitation attribuer à Cañellas.

On ne sait pas si la réutilisation des nus de Cañellas fut faite avec son accord explicite (ou celui de sa veuve après son décès). Quoique très rarement, ces revues attribuent en quelques occasions les photographies à « J.M.C. », ce qui laisse supposer qu’un accord avait été donné.

Du reste, il n’est pas impossible que Cañellas et Vignola se soient rencontrés. Dans les années 1890, Vignola fréquentait le boulevard à Montmartre, et notamment le Chat Noir (il signera plusieurs dessins dans son livre d’or). Cañellas et Vignola auront pu s’y croiser et rester en contact après le déménagement du premier avenue de Wagram. Rajoutons à cela la présence dans les revues de Vignola de publicités pour le livre de Klary (voir note 7 ci-dessus), et voilà (Cañellas-Klary-Vignola) un début de réseau d’activistes du nu par la photographie qui prend forme dans le Paris de 1900. Au vrai, la confrérie était sûrement assez nombreuse…

Revue ’L’Étude académique’ № 11, 1<sup>er</sup> juillet 1904
Revue L’Étude académique № 11, 1er juillet 1904 Réclame pour le livre de C. Klary. Source BnF/Gallica.
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10

Je renvoie une nouvelle fois au billet intitulé Le Mystère des sœurs Martin pour les détails biographiques concernant les membres de la famille Martin.

Pour l’aspect fusionnel, je relève la très grande proximité des deux sœurs qui partageaient le même domicile — avant comme après le décès de Cañellas. Il s’agisait peut-être d’un trait familial ; les quatre sœurs Martin semblent avoir très longtemps maintenu entre elles des liens particulièrement forts.

Un autre facteur pourrait avoir joué dans l’intervention des sœurs Martin et l’hypothétique mise en retrait de Cañellas : celui de sa santé. On ignore les causes de sa mort précoce, mais on sait qu’il ne s’agit pas d’un accident. Peut-être la maladie l’a-t-elle amené à passer la main progressivement à son épouse et à sa belle-sœur ?

Pour autant je ne voudrais pas donner de Cañellas l’image d’un nouveau Père Goriot !

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11

Liste non exhaustive à laquelle on pourrait aussi ajouter par exemple l’abandon du brevet d’invention déposé par Cañellas le 1er juin 1896.

Ce brevet avait été déposé initialement pour une durée de validité de quinze ans. Faute de s’être acquitté des frais annuels d’enregistrement, Cañellas s’est retrouvé déchu de ses droits sur ce brevet dès l’année suivante. Précisément au moment où il déménage avenue de Wagram et fait passer son profil de photographe au second plan pour s’afficher d’abord comme éditeur de photographies.

Est-ce une initiative du seul Cañellas, ou subit-il ici l’influence des sœurs Martin ?

Il est vrai que, entre temps, le déploiement fulgurant du cinématographe des frères Lumière ôtait sans doute beaucoup à l’intérêt pratique ou financier du brevet de Cañellas.

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12

Sur les interprétations possibles des numéros donnés aux photographies de Cañellas, je renvoie au billet À propos de la numérotation des photographies de Josep Maria Cañellas.

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13

A contrario, il faut noter un retour au fond sombre et uni sur les photographies aux numéros les plus élevés qu’on connaisse. Mais c’est alors pour en faire un usage bien spécifique : des nus flottant dans l’éther dans des poses assez éloignées des canons académiques…

JMC 6437
JMC 6437.
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14

Sur ce point, je renvoie une nouvelle fois au billet À propos de la numérotation des photographies de Josep Maria Cañellas. Voir plus particulièrement la note 15.

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15

Selon ce que j’en lis dans Wikipédia et ailleurs, le domaine de la Malmaison avait été cédé en 1877 à un marchand de biens « qui lotit la majeure partie du parc ». Diverses cessions de terrain se poursuivirent jusqu’en 1896, date d’acquisition du château (et du reste du parc) par le mécène Daniel Iffla Osiris qui en fit don à l’État en 1905.

Il est possible que Cañellas se soit porté acquéreur d’un des lots du parc, à une date qu’il reste à déterminer.

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Mots-clés

Josep Maria Cañellas (1856-1902) ; avenue de Wagram ; éditeur de photographies

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